Obéissance, promptitude, service empressé ; notre Père saint Benoît, avait-il sous les yeux le récit de la Visitation lorsqu’il écrivait la Règle ? Ce ne fut sans doute pas nécessaire, tant il en était imprégné. Saint Benoît ne parle pourtant jamais explicitement de la Sainte Vierge. Un moine comprend aisément que ce silence n’est ni oubli ni indifférence, mais pudeur qui voile ce que le cœur possède de plus précieux.
En Marie, la religion n’est qu’un jaillissement spontané. Tout est simple, limpide. Le surnaturel ne fut jamais plus naturel. Nulle trace de contradiction ni même de tension entre la chair et l’esprit, le devoir et le bon plaisir.
En nous, la religion est souvent un devoir pénible que nous accomplissons sans enthousiasme, en traînant les pieds. Il est vrai que nous ne sommes pas l’Immaculée. Nous sommes marqués par le péché. C’est pour cette raison que nous sommes entrés dans l’école du service du Seigneur. « Dans cette institution, nous espérons ne rien établir de rude ni de pesant. » Saint Benoît ne manquait pas d’humour. Sa « toute petite Règle, écrite pour les débutants » nous peinons à la pratiquer dans ses grandes lignes. S’il est vrai que dans la voie du salut, « les débuts sont toujours difficiles », n’y a-t-il pas la perspective d’une suite plus légère ? Notre Père saint Benoît ne dit-il pas qu’à « mesure que l’on progresse dans la vie religieuse et dans la foi, le cœur se dilate, et l’on court dans la voie des commandements de Dieu, avec la douceur ineffable de l’amour » ?
Il ne s’agit pas de chercher des consolations sensibles ni d’échapper à l’aridité et à la monotonie. Aimer n’est pas sentir qu’on est aimé et qu’on aime, mais persévérer dans le don de soi. Mais à ce régime spartiate imposé à notre affectivité, nous devons faire attention à ne pas endurcir notre cœur. L’endurcissement du cœur, la rigidité, ne sont pas des qualités. Ce sont plutôt des échappatoires qui nous cuirassent contre la vulnérabilité inhérente à tout amour vrai.
Cet endurcissement du cœur ne concerne pas seulement nos relations fraternelles, mais notre foi elle-même. Nous agissons souvent comme le roi Achaz qui rétorquait au prophète Isaïe : « Je ne demanderai pas de signe, je ne veux pas mettre le Seigneur à l’épreuve. » Il est facile de masquer notre manque de foi en la Providence par une fausse modestie. Nous sommes des hommes sérieux, autonomes. Il ne faudrait pas demander à Dieu de faire à notre place ce que nous pouvons faire nous-mêmes par nos efforts. Mais Dieu n’a pas besoin de nos efforts. Dieu veut qu’on lui fasse de la place, Il veut Lui-même agir en nous. Nos efforts sont nécessaires pour montrer notre bonne volonté. Mais ils ne doivent jamais se substituer à l’action de Dieu. Ce n’est pas facile. En réalité, c’est là que devrait être notre principal effort : dans tout ce que nous faisons, nous mettre en retrait pour laisser la place à Dieu. Cela ne diminuera en rien notre engagement. Seulement, d’un empressement naturel et agité, nous passerons à un empressement surnaturel et paisible.
A la place de notre spontanéité à fleur de peau Dieu veut nous donner une spontanéité à l’image de celle qui jaillissait sans cesse dans la vie de la Sainte Vierge. Laissons-nous entraîner par elle. Qu’elle nous conduise des marécages de notre médiocrité vers la région montagneuse, là l’où on respire l’air pur du don de soi et de l’amour de Dieu. Amen