Assomption 2025

« Au désert, Dieu lui a préparé une place »

Mais quelle idée que d’assigner quelqu’un à résidence au désert ! Ce no man’s land virginal et intact, que peut-il bien promettre ? Pourtant, sans nécessairement y mettre la forme, le désert recèle un grand secret. Pour solitaire qu’il soit, il aime à recueillir en son sein les chercheurs de Dieu. En effet, son horizon laisse deviner une présence, ses contours un vis-à-vis, son étendue une arène, théâtre d’un singulier combat. Le désert lance un défi, il est pour nous ce que nous voulons qu’il soit : terreur ou terreau… Loin de nous faire miroiter des chimères au loin, le désert nous contraint à porter notre regard sur l’essentiel. Dans le désert il n’y a ni divertissements, ni échappatoires. Seule une volonté de disciple permet d’y subsister.

« Au désert, Dieu lui a préparé une place »

Pas surprenant dès lors que Cîteaux, le nouveau monastère, recherchait ce désert, y voyant à juste titre un endroit privilégié, un creuset, pour forger des hommes de Dieu. Riche de l’expérience d’innombrables chercheurs de Dieu, le désert est devenu une école à la pédagogie sûre, connaissant les bons chemins, avertie des impasses, pour transmettre aux disciples demandeurs, l’art de ce singulier combat.

Mais de quel combat s’agit-il ? C’est celui d’une configuration au Christ, ce qui se traduit, pour reprendre les paroles de sainte Jeanne de Chantal, par un « martyr d’amour », qui réclame un « consentement absolu à Dieu ». Elle poursuit : « […] cela s’entend pour les cœurs généreux qui ne se reprennent pas et restent fidèles à l’amour. Car les cœurs faibles et de peu d’amour et de constance, Notre Seigneur ne s’applique pas à les ‘martyriser’. Il se contente de les laisser rouler leur petit train, de crainte qu’ils ne lui échappent […]. »

La tentation existe en effet de s’échapper du désert, de déserter le combat, ou, pire encore, d’y apprêter un oasis. On comprend pourquoi. Le désert, n’offrant rien à désirer ou à poursuivre que l’essentiel, passe au crible notre cœur pour ne laisser passer que ce qui s’accorde à l’appel divin. Or, à cet appel trouve-t-il un écho, une résonance ou plutôt une résistance ? Qui n’a pas pu un jour regimber face à ce « Fiat » toujours à renouveler ? Ce passage obligatoire de ce qui nous plaît au bon plaisir de Dieu n’est pas gagné d’avance, car il relève d’un autre ordre. Sainte Jeanne de Chantal décrit bien le fond du problème : « C’est […] que le divin amour fait passer son glaive dans les plus secrètes et intimes parties de nos âmes et nous sépare nous-mêmes de nous-mêmes. »

Or, séparer dans ce cœur divisé, avec lequel nous sommes aux prises, ce qui relève de Dieu de ce qui lui fait obstacle, est un travail ingrat quoique salutaire. Car, du point de vue de Dieu, nous sommes tous en un sens comme des cardiaques requérant un médecin compétent à nos côtés et qui veille à la garde de notre cœur. Voilà le défi pour l’apprenti disciple, lucide sur lui-même.

Si le désert est large et accepte généreusement les arrivants de tout poil et de tout bord, y compris les fortes têtes, les frondeurs et les esprits affranchis, il reste que, pour pouvoir durer, il faudra accepter d’entamer les méandres d’une réforme de soi — car rien n’est impossible à Dieu — afin de s’enrichir d’une amitié divine qui fera notre bonheur, notre paix, voire même notre noblesse.

« Au désert, Dieu lui a préparé une place »

Maintenant nous comprenons mieux cette phrase étonnante de l’Apocalypse. Le sens même du livre : « dévoilement » a une connotation technique, nuptiale, car il désignait le moment où la fiancée était dévoilée au futur époux. L’Apocalypse nous dévoile la fiancée, l’épouse du Christ, à savoir l’Église et en premier lieu la Bienheureuse Vierge Marie, Arche de l’Alliance.

Dès lors, faut-il s’étonner que Dieu ait voulu, avant qu’elle n’aille rejoindre son Fils dans sa victoire, qu’elle vienne retrouver ses fils, peinant encore au désert, pour les prendre dans les pans de son manteau et les entraîner avec elle, leur faisant voir, comme dans un miroir sans tache, le reflet resplendissant de son Fils, ce reflet qu’elle désire retrouver en nous ?

Faut-il être surpris que le premier Cîteaux ait établi cette Vierge secourable comme gardienne, la vénérant de manière particulière dans le mystère de son Assomption ? Question rhétorique bien sûr, car ils avaient bien compris que, exemplaire dans sa virginité féconde, c’était pour nous que Dieu « au désert, lui a préparé une place ».

Amen.

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