A l’occasion du jubilé d’or de l’ordination sacerdotale
Dieu seul est le maître du temps. C’est ce que saint Paul et l’Évangile viennent de nous redire clairement, mais il s’agit d’une réalité dont l’évidence ne s’impose pas si facilement à nos esprits.
Nous entretenons avec le temps une relation compliquée, ambiguë même, faite de résignation, de frustration, parfois même d’angoisse, qui ne nous aide pas à nous placer, vis-à-vis de lui et donc vis-à-vis de Dieu son maître, dans une position juste : puisque nous ne sommes pas, et ne serons jamais, les maîtres du temps, nous ne pouvons être que ses esclaves, ce qui nous est insupportable.
Il existe pourtant une voie moyenne, et comme souvent, c’est la seule vraie : nous pouvons apprendre à faire du temps notre allié, le faire servir à notre dessein pour en tirer tous les avantages possibles, au lieu de seulement subir son inévitable déroulement.
La vocation monastique reçue de Dieu et, avec elle, l’appel au sacerdoce, s’inscrivent évidemment dans le temps et, si nous sommes tant soit peu conscients de l’enjeu qu’ils représentent, nous découvrons rapidement que le temps fait partie de notre réponse à ces appels. Il ne s’agit pas d’une composante passive, subie parce qu’inévitable, mais d’un véritable défi quotidien, et même parfois horaire, dans lequel le temps devient peu à peu une expression décisive de notre réponse.
Prendre le temps de durer devant Dieu dans la prière et recommencer chaque jour, à longueur d’années est une expression majeure du choix que représente notre réponse à l’appel reçu. Ce n’est pas d’abord par des paroles, des élans, des intentions, que nous rendons cette réponse effective mais en passant le meilleur de notre temps en présence de celui dont la présence ne nous quitte jamais.
Si, à certaines époques, cette durée se révèle paisible et heureuse, elle sera le plus souvent aride, coûteuse et fruit d’un combat qu’on n’est pas toujours sûr de gagner. Mais ce temps-là sera la plus sûre manifestation de notre choix voulu et renouvelé. Donner son temps, c’est aimer vraiment, en donner souvent et beaucoup, c’est donc exprimer un choix radical et la conscience que lui seul vaut la peine d’être fait.
Le temps passé ne se rattrape pas, mais, au long des années, on mesure de plus en plus qu’il fallait tout ce temps pour répondre et qu’on a bien fait de le donner car il n’aurait pas pu être mieux utilisé.
Celui qui devient prêtre découvre en outre un rapport tout à fait particulier au temps. Par son ministère, le temps du Sacrifice du Christ sur la Croix et celui de chaque célébration se rejoignent mystérieusement. Dans l’acte liturgique la messe et la Croix ne font qu’un et le prêtre est l’humble serviteur de cette coïncidence miraculeuse. Là encore, le temps est allié de l’homme qui, par pure grâce, se trouve alors uni à l’acte par lequel il est sauvé et par lequel ce salut s’étend à tous les hommes.
En tout cela, aucun automatisme magique, aucune sécurité illusoire mais un engagement voulu et renouvelé à chaque instant et chaque jour. Sans cela, le temps reste un poids, un ennemi. Mais c’est de chacun d’entre nous personnellement qu’il dépend qu’il n’en soit pas ainsi ; l’Évangile en nous avertit clairement : l’un sera pris, l’autre laissé. Là, comme partout dans l’économie chrétienne, pas de régime général, pas de passage automatique mais la nécessité d’un engagement répété, personnel et volontaire.
Il n’est pas trop de 50 ans pour comprendre ces réalités et les faire passer dans une existence, mais même après tant d’années, on reste émerveillé de la condescendance de Dieu qui met entre les mains de pauvres serviteurs des moyens aussi efficaces et leur apprend à s’en servir utilement.
Pas de place ici pour la vanité ou une fausse satisfaction mais pour la joie profonde d’avoir été choisi, malgré tout ce qui aurait pu écarter ce choix, et d’avoir reçu la grâce d’y répondre, certes bien modestement, mais sans hésitation ni regret ; joie qui, elle aussi, est un don qu’aucune contradiction, faiblesse ou désillusion ne saurait entamer. Dieu en soit béni !