Dans un de ces poèmes, Claudel exprime avec finesse les sentiments qui peuvent habiter le cœur d’un moine le jour de la solennité de l’Immaculée Conception. Il écrit :
Ne rien dire, mais seulement chanter parce qu’on a le cœur trop plein,
…Parce que vous êtes belle, parce que vous êtes immaculée,
la femme dans la Grâce enfin restituée,la créature dans son honneur premier et dans son épanouissement final,
telle qu’elle est sortie de Dieu au matin de sa splendeur originale.
Pourtant, malgré leur beauté, ces affirmations posent problème. Nous croyons que la Toute Belle, la Fiancée sans tache, a été préservée du péché dès le premier instant de sa conception. Les conséquences de ce privilège inédit sont connues : ses passions étaient ordonnées par sa raison, son corps soumis à son âme, et le monde naturel en harmonie avec sa personne – tout comme pour nos premiers parents dans le paradis terrestre. La vie divine, sans trouver en elle le moindre obstacle, se répandait dans ses facultés à la vitesse de la lumière et approfondissait sans cesse, et avec chacun de ses actes, sa plénitude de grâce.
Nous autres chrétiens, nous partageons avec la Très Sainte Vierge la même finalité, à savoir l’intimité avec Dieu et la sainteté. Pourtant, il est plus que clair que ce que nous obtenons à grand-peine, enlisés que nous sommes dans nos passions et notre amour-propre, la Toute Pure l’obtenait avec aisance, comme naturellement. De là peut naître un sentiment d’injustice, voire d’envie, devant ce privilège qui semble rendre son chemin bien plus aisé que le nôtre.
Remarquons pourtant que, malgré ce à quoi on pourrait s’attendre, la Nouvelle Ève n’a pas passé ses jours sur cette terre dans l’harmonie et la béatitude tout édéniques. Loin de là… Si seulement elle savait ce qui l’attendait lorsqu’elle prononçait son Fiat devant l’Ange ! Certes, la Mère de Dieu a connu ici-bas des joies, et pas des moindres. Mais aussi quelles souffrances !? Le cœur transpercé par un glaive, en suivant son fils jusque sous la Croix. La Mère du Rédempteur a expérimenté au plus haut degré l’injustice, le mépris, l’impuissance. C’est que la grâce dont elle était comblée venait déjà de la mort de son Fils et la configurait ainsi à lui, jusque dans sa Passion, tout comme pour nous. Seulement, à la différence de nous, la Femme conçue sans péché ne s’y est jamais dérobée, elle n’est jamais revenue sur le don total d’elle-même.
Pour imiter la Vierge Immaculée, un seul chemin s’offre à nous : redevenir comme des enfants. Non que ceux-ci seraient plus innocents ou plus obéissants que nous – loin s’en faut. Mais parce que les enfants aiment à jouer ! Car le jeu est la clé d’une vie réussite.
Marie Noël disait : « J’ai toujours joué avec Dieu une vie à qui perd gagne. C’est un bon jeu. Le jeu chrétien où le mal devient royaume. »
Amen.