
Entre les offices, le moine doit veiller « à la garde du cœur », c’est-à-dire à maintenir entre Dieu et lui, entre Notre Seigneur et lui, entre la Vierge Marie et lui, le lien fragile de la prière, du recueillement. Il ne s’agit pas d’un effort, d’une tension nerveuse, d’un recueillement forcé, mais d’un lien calme, tranquille, intime, de l’ordre de l’amitié, exactement comme un enfant séparé de sa mère pense tout naturellement à elle, ou comme deux amis éloignés gardent le souvenir l’un de l’autre. Cela demande un effort. L’oraison jaculatoire ou invocation est une prière personnelle très courte, théologiquement juste, qui traduit l’orientation de notre cœur, autrement dit l’axe de notre vocation. Dans la masse quotidienne de nos pensées, il faut impérativement glisser des invocations qui joueront le même rôle que le bâton d’épine-vinette de Moïse, jeté dans les eaux amères de Mériba et qui les a purifiées. Chacun de nous, au début de sa vie monastique, doit se forger, avec l’aide d’un Ancien, une ou deux invocations qui lui serviront toute sa vie.
Forger avec un jeune frère, dès son postulat, son invocation, n’est pas une petite affaire. D’abord le Père Maître, par facilité, ne doit pas lui imposer la sienne, toute faite. Le choix de l’invocation personnelle ne correspond pas, uniquement, à un mouvement de la sensibilité, elle doit rejoindre l’identité profonde, c’est-à-dire la vocation propre du futur moine.
La pratique des invocations peut paraître incongrue, vieillotte ; elle semble trop répétitive. Mais l’office divin et l’oraison finis, il importe de rester uni à Dieu, comme lorsqu’on veut maintenir une relation avec quelqu’un d’absent : il y a les photos, les lettres ou les messages, le téléphone. Curieusement, ce serait une certaine forme d’utilisation du téléphone, qui se rapprocherait le plus de l’invocation ; plus précisément, ces appels de deux ou trois sonneries qu’utilisaient jadis les gens peu fortunés pour se saluer, se dire qu’ils sont rentrés ou qu’ils arrivent. C’est dans cette perspective, à partir de cette métaphore, que nous enseignons et pratiquons l’art des invocations. En deux ou trois enseignements, tout est dit ; mais il faut la vie pour mettre en place l’invocation ; elle demande grande énergie et ténacité personnelles
