29 juin 2025
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Au cœur du Sénégal, le 12 janvier dernier, les frères de Bàdi voyaient leur mangueraie partir en fumée. Six mois après, les cicatrices sont encore visibles.

Bàdi (Sénégal Oriental) – Pierre-Antoine Méault
Les branches noircies se dressent encore vers le ciel dans un décor macabre. Six mois après l’incendie qui a ravagé la mangueraie du monastère de Bàdi, la nature reprend lentement ses droits. Sous la pluie revenue, quelques pousses vertes percent timidement la terre calcinée. Mais le spectacle reste saisissant : des centaines d’arbres morts témoignent de la violence du feu qui, en quelques heures, a anéanti des années de labeur.
Père Jean-Baptiste se souvient de chaque détail de ce dimanche 12 janvier 2025. « C’était après vêpres », raconte-t-il d’une voix posée. « Un petit feu tournait depuis le matin, surveillé par les ouvriers. Après Vêpres, plusieurs frères sortent, dont Père Charles-Lwanga et Frère Baudouin pour aller avec les ouvriers surveiller le feu. »

L’engrenage fatal

Ce qui devait être une surveillance de routine s’est transformé en cauchemar. « En quelques minutes, le vent a tourné et le feu a changé de position. Il est devenu beaucoup plus rapide et beaucoup plus fort », se souvient le moine. L’élément incontrôlable s’est alors joué des précautions humaines : « Le feu a sauté le pare-feu et est entré dans la parcelle du monastère. »
L’incendie progresse inexorablement du sud vers le nord, dévorant tout sur son passage. « Il a brûlé plus de 80% des manguiers », explique Père Jean-Baptiste.
Face au brasier, la communauté se mobilise dans l’urgence. « Toute la communauté, tous les ouvriers se sont mis à faire une tranchée. Le tracteur est passé, les ouvriers et les frères se mettaient à empêcher le feu de passer la tranchée. » Mais l’homme est peu de chose devant la nature déchaînée.

La solidarité dans l’épreuve

« En fait, nous on n’a pas pu éteindre le feu », admet le père avec une lucidité. « C’est le fait que le vent se soit un peu calmé qui a permis qu’on étouffe les flammes qui se propageaient. On l’a simplement encerclé, on a essayé d’empêcher qu’il aille plus loin et on a laissé brûler tout ce qui était atteint. »
Cette nuit-là, l’office de Complies est repoussé. « À l’office, seul la moitié des frères était présent », se rappelle Père Jean-Baptiste. L’incendie a révélé une certaine désorganisation : « Certains frères étaient à l’église pendant que le feu prenait, d’autres sont venus se changer en se disant est-ce que je viens, est-ce que je ne viens pas. »
Mais la tragédie a aussi révélé une belle solidarité. Aux côtés des quinze ouvriers du monastère, « des voisins, des jeunes du village sont venus » prêter main-forte. Notamment grâce à l’un des ouvriers musulmans du village voisin qui a trois femmes « a rappelé ses fils et ses neveux. »

Un incendie dévastateur

Un fléau récurrent

Car ce drame s’inscrit dans un cycle bien connu. « Il y a une saison pour les feux », explique le religieux. « A partir d’octobre, la nature reste verte un ou deux mois. Et dès le mois de décembre, janvier, les feux ont déjà commencé. » Ces brasiers ne sont pas accidentels : « Souvent ce sont des gens qui mettent le feu soit pour débroussailler leur champ, soit pour avoir de l’herbe fraiche pour les troupeaux.
« C’est un problème récurrent. Tous les ans, il y a plusieurs feux qui démarrent ». « C’est le vent qui décide si ça devient un incendie général ou si ça reste un petit feu qui se contrôle. »
Cette fois, le grand feu « a brûlé aussi une partie de la colline. Pratiquement tout notre terrain est brûlé. »

Vue aérienne d’un incendie semblable en 2021 à Bàdi

Renaissance après les cendres

Six mois plus tard, le bilan est lourd. « Au point de vue des manguiers, il y a à peu près 10 ou 15% des arbres qui s’en sont sortis. Les autres sont morts. » Une perte considérable pour cette petite communauté qui espérait vivre des fruits de son verger.
Mais les moines ne baissent pas les bras. « On va les retransformer en vergers. On va essayer de diversifier. Au lieu de replanter que des manguiers, on va essayer de diversifier les arbres pour transformer en petits vergers de différents fruits. C’est notre frère Louis qui en est chargé. »
Pour l’avenir, la communauté a tiré les leçons de l’épreuve : « On a fait une petite formation pour se protéger des incendies et utiliser des extincteurs. » Même si Père Jean-Baptiste reste lucide : « L’extincteur ne sert à rien pour aller éteindre un feu dans la brousse ou dans les manguiers. Non, nous ne sommes pas prêts. »

Le salut était venu du tracteur : « Il a fait une tranchée, il a poussé devant lui toute l’herbe. Entre les manguiers, il a réussi à faire une tranchée et tous les frères se sont mis dans cette tranchée pour empêcher le feu de traverser. »
« Si nous persévérons, c’est nous croyons que cette terre a aussi besoin d’un foyer de prière », conclut Père Jean-Bapiste.
Aujourd’hui, sous les premières pluies de l’hivernage, « tout commence à verdir. » Dans ce monastère du bout du monde, la vie reprend ses droits. Lentement, patiemment, comme l’enseigne la vie monastique, et ses cycles liturgiques annuels. Les manguiers brûlés cèderont la place à de nouveaux vergers. Plus diversifiés, peut-être plus résistants. A l’image de cette petite communauté en germe, qui peu à peu s’enracine sur cette terre aride.

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