Bàdi (Sénégal Oriental) – Pierre-Antoine Méault
Les branches noircies se dressent encore vers le ciel dans un décor triste. Six mois après l’incendie qui a ravagé la mangueraie du monastère de Bàdi, la nature reprend lentement ses droits. Sous la pluie revenue, quelques pousses vertes percent timidement la terre calcinée. Mais le spectacle reste saisissant : des centaines d’arbres morts témoignent de la violence du feu qui, en quelques heures, a anéanti des années de labeur.
Père Jean-Baptiste, moine de Sept-Fons à Bàdi depuis deux ans, se souvient de chaque détail de ce dimanche 12 janvier 2025. « C’était après vêpres », raconte-t-il d’une voix posée. « Un petit feu tournait depuis le matin, surveillé par les ouvriers. Plusieurs frères sortent, dont Père Charles-Lwanga et Frère Baudouin pour aller avec les ouvriers surveiller le feu. »

L’engrenage fatal
Ce qui devait être une surveillance de routine s’est transformé en situation hors de contrôle. « En quelques minutes, le vent a tourné et le feu a changé de position. Il est devenu beaucoup plus rapide et beaucoup plus fort », se souvient Père Jean-Baptiste. L’élément incontrôlable s’est alors joué des précautions humaines : « Le feu a sauté le pare-feu et est entré dans la parcelle du monastère. »
L’incendie progresse du sud vers le nord, dévorant tout sur son passage. « Il a brûlé plus de 80% des manguiers », explique le moine.
Face au brasier, la communauté se mobilise dans l’urgence.

La solidarité dans l’épreuve
« En fait, nous on n’a pas pu éteindre le feu », admet le moine de Sept-Fons. « C’est le fait que le vent se soit un peu calmé qui a permis qu’on étouffe les flammes qui se propageaient. On l’a simplement encerclé, on a essayé d’empêcher qu’il aille plus loin et on a laissé brûler tout ce qui était atteint. »
Cette nuit-là, l’office de Complies est repoussé. « À l’office, seul la moitié des frères était présent ». Pour le Père Jean-Baptiste. L’incendie a révélé une certaine désorganisation.
Mais le sinistre a aussi révélé une belle solidarité. Aux côtés des quinze ouvriers du monastère, « des voisins, des jeunes du village sont venus » prêter main-forte. Notamment grâce à l’un des ouvriers musulmans du village voisin qui a trois femmes « a rappelé ses fils et ses neveux. »

Un fléau récurrent
Les feux de brousse sont un phénomènes qui revient chaque année. « Il y a une saison pour les feux », explique Père Jean-Baptiste. « A partir d’octobre, la nature reste verte un ou deux mois. Et dès le mois de décembre, janvier, les feux ont déjà commencé. » Ces brasiers ne sont pas accidentels : « Souvent ce sont des gens qui mettent le feu pour débroussailler leur champ ou pour avoir de l’herbe fraiche pour les troupeaux. Le vent décide si ça devient un incendie général ou si ça reste un petit feu qui se contrôle. »
Cette fois, le grand feu « a brûlé aussi une partie de la colline. Pratiquement tout notre terrain est brûlé », commente le moine.

Renaissance après les cendres
Six mois plus tard, le bilan est lourd. « Du point de vue des manguiers, il y a à peu près 10 ou 15% des arbres qui s’en sont sortis. Les autres sont morts. » Une perte considérable pour cette petite communauté qui espérait vivre du travail de la terre.
Mais les moines ne baissent pas les bras. Père Jean-Baptiste remarque : « On va les retransformer en vergers. On va essayer de diversifier. Au lieu de replanter que des manguiers, on va essayer de diversifier les arbres pour transformer en petits vergers de différents fruits. C’est notre frère Louis qui en est chargé. »

C’est le tracteur qui a sauvé la situation : « Il a fait une tranchée, il a poussé devant lui toute l’herbe. Entre les manguiers, il a réussi à faire une tranchée et tous les frères se sont mis dans cette tranchée pour empêcher le feu de traverser. »
« Si nous persévérons, c’est nous croyons que cette terre a aussi besoin d’un foyer de prière », conclut Père Jean-Baptiste.
Aujourd’hui, sous les premières pluies de l’hivernage, « tout commence à verdir. » Dans ce monastère du bout du monde, la vie reprend ses droits. Lentement, patiemment, comme l’enseigne la vie monastique, et ses cycles liturgiques annuels. Les manguiers brûlés cèderont la place à de nouveaux vergers. Plus diversifiés, peut-être plus résistants. A l’image de cette petite communauté en germe, qui peu à peu s’enracine sur cette terre aride.
