« Je vois les missiles qui arrivent »
Latroun (Israël)
« Attends, écoute, écoute, écoute… Tu entends les hurlements des sirènes ? » Hier soir, 1er juillet 2025, notre conversation téléphonique avec Frère Aloïs, moine de Sept-Fons qui a rejoint l’abbaye de Latroun en Israël depuis 2018, est brutalement interrompue. En arrière-plan, le son caractéristique de l’alerte aux missiles résonne dans la vallée d’Ayalon, à mi-chemin entre Jérusalem et Tel-Aviv.
« Je vois les missiles qui arrivent. Un, deux, trois… Ah non, ça y est, il a déjà explosé », commente le moine avec un détachement surprenant. « J’ai vu des espèces de gerbes de missiles dans le ciel. » Depuis trois semaines, cette abbaye cistercienne fondée par Sept-Fons vit au rythme des attaques venues du Yémen et d’Iran.
Un vendredi 13 sous tension
Tout a basculé le vendredi 13 juin dernier. « On a reçu un coup de fil du Patriarcat », raconte Frère Aloïs évoquant le patriarcat latin de Jérusalem. « On nous a dit : ‘On s’attend à une attaque très forte de l’Iran. Ils vont sans doute viser une base militaire qui est pas très loin de chez vous, à côté de Beit Shemesh. Le gouvernement demande si vous avez un abri, si vous êtes prêts.' »
Ce jour-là, l’atmosphère était électrique. « On voyait des camions militaires qui passaient partout. Israël a rappelé tous les réservistes. Alors là, on s’est dit : ‘Bon, bon, bon.' » Dom Patrick fait une annonce au chapitre : « S’il y a une alerte, nous allons à la crypte. Soyons très prudents. »
La première alerte : panique à la crypte
Quand retentit la première sirène, c’est la panique organisée. « Frère Jean-Marie a couru partout le monastère. Il a commencé à taper à toutes les portes : ‘Allez, allez ! Venez, venez, venez !' » Direction la crypte, où des réserves de nourriture ont été stockées.
« On était tous à la crypte, dom Patrick a commencé à prier le chapelet. Et puis au bout de 5-10 minutes, j’ai dit : ‘Mais c’est pas la vraie alerte. On n’entend rien.’ Finalement, on est tous repartis se recoucher. »
Fausse alerte ? Pas longtemps. « Au bout de 20 minutes, de nouveau l’alerte. Cette fois-ci, c’était la bonne. Là, on est descendus à la crypte. Et ça a canardé pendant un quart d’heure. Il y avait des missiles qui passaient, qui explosaient… C’était fort, c’était très fort. »
Vivre avec cette réalité.
Depuis, les moines de Latroun ont appris à vivre avec cette réalité. Frère Aloïs décrit avec un humour grinçant l’évolution des réactions : « Les deux premières alertes, on est descendus. La troisième alerte, la moitié ne sont pas descendues. La quatrième alerte, la moitié sont allées sur la terrasse regarder. »
Aujourd’hui, la routine s’est installée : « Plus personne ne descendait à la crypte. On regardait passer les missiles. » Une adaptation nécessaire après « deux semaines où c’était tous les jours, tous les jours, tous les jours ».
Yémen contre Iran : une différence de taille
Frère Aloïs a appris à distinguer les types d’attaques. « Si c’est du Yémen, c’est pas très grave. Le Yémen, ils envoient les missiles un par un. Ils n’en ont pas beaucoup, alors ils les économisent. Alors que l’Iran, quand ils en tirent, c’est 10, 20, 30, 40, 50 à la fois. »
Cette différence n’est pas anodine. « Tu vois les missiles en temps réel, mais tu entends les détonations 20 secondes, 30 secondes après. »

Les débris et les victimes
Les conséquences de ces attaques dépassent le spectacle. « Il y a des morceaux qui tombent. Parfois, il y a des missiles entiers qui passent à travers le bouclier », explique le moine. Le bilan est lourd : « Il y a déjà eu 24 morts » depuis le début de cette escalade.
Cette réalité transforme les habitudes monastiques. « Quand c’est comme ça, tous les frères se lèvent et ils vont voir », raconte Frère Aloïs. La curiosité l’emporte désormais sur la prudence.
Une semaine de répit
Depuis une semaine, le calme semble revenu. « Ça fait une semaine qu’avec trêve avec l’Iran, c’est calme. Il n’y a pas d’alerte, qu’il n’y a pas de missile, il n’y a rien. »
Mais hier soir, l’accalmie s’est brutalement interrompue. Au téléphone, Frère Aloïs commente en direct : « Tant qu’il y en a pas un qui tombe à côté, ça reste vivable. »
Cette phrase résume peut-être le mieux l’extraordinaire capacité d’adaptation de cette communauté monastique. Entre prière du chapelet à la crypte et observation des missiles depuis la terrasse, les moines de Latroun ont appris à vivre avec la guerre. Une leçon de résilience au cœur d’un conflit qui dépasse les murs de leur abbaye.
« C’est notre vie. La même que tous ceux qui vivent dans ce pays. » conclut Frère Aloïs avec simplicité. Il y a quelque jour, un jeune soldat Israëlien de 18 ans a été tué chez lui alors qu’il participait à un cours de secourisme en visio, à quelques kilomètres de Latroun. Cela a beaucoup impressionné Frère Aloïs. « La guerre a quelque chose d’absurde, quelque soit le camp. Il faut avoir la foi solide. » Dans cette abbaye cistercienne, entre deux alertes aux missiles, la vie monastique de ces moines continue, avec la foi que leur présence constitue un havre de paix et de prière au cœur du drame.