« Plus on avance dans la vie monastique, plus on apprend à connaître Quelqu’un. Et ce Quelqu’un va devenir notre ami, notre interlocuteur privilégié de toute la journée. »
Question à Frère Raphaël – propos recueillis par Olivia Descours
Source Magazine : Qui est Dieu pour vous ?
Frère Raphaël : C’est une très belle question ! Au début, quand on entre au monastère, on ne sait pas très bien qui est Dieu. On connait Dieu théoriquement. On sait que c’est la sainte Trinité ! On sait surtout que c’est Quelqu’un qui nous a conduit, qui nous a appelé, qui s’est fait discret mais qui nous a attiré à lui. Quelqu’un qui a mis sur notre route les bonnes personnes. Au commencement, Dieu se révèle à travers des personnes, des rencontres providentielles.
Puis, petit à petit – cela vient assez lentement mais de manière très sûre – plus on avance dans la vie monastique, plus on apprend à connaître une personne. Une vraie relation s’instaure. En fait, deux personnes deviennent nos interlocuteurs quotidiens.
S : Deux personnes ?
FR : D’abord, Dieu c’est Jésus. Pourquoi ? Parce que Dieu s’est incarné, il s’est fait homme pour nous rencontrer. Jésus – je ne sais pas si vous le savez – il n’a pas de personne humaine selon la foi catholique. Il a une personne divine et une nature humaine. Donc, quand nous rencontrons Jésus, c’est un visage humain, un cœur humain, une humanité complète, mais dont la personne est divine. Jésus c’est Dieu.
C’est cette personne-là qu’on suit. C’est Jésus qui nous appelle. C’est lui qu’on va apprendre à connaître et à aimer, et qui va devenir un ami, notre interlocuteur privilégié de toute la journée. C’est Dieu qui a l’initiative : une relation réelle qui naît du fait qu’on veut lui obéir, qu’on veut le suivre.
S : Concrètement, cela change quoi dans votre vie ?
FR : Tout ce qu’on fait – même les choses qui nous plaisent, même celles qui ne nous plaisent pas – on les fait pour lui, parce qu’on veut le suivre. C’est cela qui donne du sens aux choses. Un moine n’a pas qu’une vie de pénitence. Notre vie est pleine de joie authentique. Cette joie, elle n’a de sens, elle n’est pleine, que parce qu’elle est ordonnée dans notre cœur à Dieu.
S : Et la deuxième personne ?
FR : C’est la Vierge Marie. J’ai appris à dire le « Je vous Salue Marie » à dix-huit, dix-neuf ans ! J’avais demandé à quelqu’un de me l’écrire sur un papier car je ne connaissais pas cette prière. Je l’ai apprise par cœur. Mais je n’avais pas de relation particulière avec la Sainte Vierge.
En fait, c’est au monastère, pendant mon noviciat, que j’ai noué cette relation de manière un peu volontaire – c’est-à-dire en priant la Sainte Vierge tous les jours. Il s’est créé quelque chose de fort qui structure vraiment ma journée. La Vierge Marie est vraiment ma deuxième interlocutrice – mais il n’y a pas de concurrence, c’est indissociable. Elle est indispensable. C’est la femme de ma vie.
S : Beaucoup de gens ont du mal à personnaliser Dieu. Comment faites-vous ?
FR : La vie monastique donne un cadre qui est très reposant : sept fois par jour, que j’en aie envie ou non – et très souvent j’ai plein de choses à faire et je n’ai pas envie – je vais à l’église pour l’office. Nous passons trois ou quatre heures par jour à l’église. Cela crée des piliers dans la journée, une structure.
Ensuite, nous avons des temps de lecture spirituelle. On lit toutes sortes de livres, mais surtout la Bible, tous les jours un petit peu. On apprend à devenir vraiment familier de tous les personnages de la Bible. La vie du roi David, c’est extraordinaire ! Chaque fois que je retombe dessus, je suis ébloui. C’est l’ami de Dieu par excellence. C’est un bandit, le roi David, il lui arrive plein de choses, il fait des erreurs. C’est exactement nous ! Et il a une délicatesse par rapport à Dieu, un tact remarquable. Dieu se révèle par touche successive.
S : Donc vous apprenez à connaître Dieu comme on apprend à connaître un ami ?
FR : Exactement. Jacob, Abraham, Isaac… tous ces personnages deviennent des compagnons de route parce qu’il nous arrive la même chose, parce qu’on apprend à connaître Dieu comme eux, dans une certaine obscurité et une certaine clarté. Toute la Bible dit Dieu et converge vers Jésus.
C’est une espèce de familiarité qui se développe. On apprend aussi à connaître Dieu en passant du temps devant le tabernacle, en silence. Le plus important, c’est de passer du temps avec quelqu’un – comme dans un mariage, on va chercher des occasions pour être ensemble.
Connaître Dieu c’est aussi regarder en arrière dans sa vie et voir tout le chemin parcouru. On s’aperçoit qu’il nous a conduit jusqu’ici tout au long du chemin. On a le cœur qui brûle. Il faut apprendre à rendre grâce. Rendre grâce pour le bien comme pour le mal. C’est un moyen très sûr pour découvrir le visage de Dieu.
« Plus on avance dans la vie monastique, plus on apprend à connaître Quelqu’un. Et ce Quelqu’un va devenir notre ami, notre interlocuteur privilégié de toute la journée. »